Le DDT est l’insecticide organo-chloré le plus, mais pas nécessairement le mieux, connu. Après avoir sauvé des millions de vies humaines pendant des dizaines d’années, il est devenu le parangon du mal et fut interdit en Europe, où il n’était plus indispensable, il y a déjà 40 ans.

De son vrai nom dichloro-diphényle-trichloro-éthane, le DDT se présente sous forme de cristaux blancs, peu biodégradables, peu solubles dans l’eau, mais très lipophiles, ce qui contribuera à son accumulation dans les organismes vivants et au danger incontestable que son utilisation erratique a créé.

Synthétisé par Othmar Zeidler en 1874, ses propriétés insecticides ne furent découvertes qu’en 1939 par Paul Hermann Müller (Geigy) qui reçut en 1948 le Prix Nobel de Médecine avec cette mention : « Grâce à vous, la médecine préventive peut à présent combattre de nombreuses maladies transmises par les insectes… ». En effet, le paludisme, le typhus, et bien d’autres épidémies dévastatrices sont propagées par des insectes (anophèles) et divers parasites humains (poux, puces, etc.) détruits par le DDT.

Pendant la seconde guerre mondiale, les soldats alliés sont aspergés de DDT pour éviter les épidémies dues aux poux et autres parasites. En 1944, la ville de Naples, en proie au typhus, est soumise avec succès, à une pulvérisation massive de DDT.

Le paludisme (maladie des marais, palus), ou malaria (mal aria, air vicié) est mentionné dans les écrits les plus anciens. La cause de la maladie a été découverte en 1880 par un médecin militaire français, Alphonse Laveran (prix Nobel de physiologie-médecine, 1907).

C’est en 1897 que le médecin anglais Ronald Ross (prix Nobel en 1902) prouva que les moustiques anophèles (femelles) étaient les vecteurs de 4 espèces de {Plasmodium, des protozoaires, qui sont responsables d’une maladie dont les ravages sont effrayants : de grandes épidémies, en URSS, Egypte, Etats-Unis, firent régulièrement des millions de victimes ; au Mexique, dans les années 1940-1950, on recense 24 000 morts par an et 2,5 millions de personnes touchées ; la première tentative de percement du canal de Panama fait 10 000 morts parmi les ouvriers, comme raconté non sans humour dans le film « Arsenic et vieilles dentelles ».

Les succès de la lutte contre le paludisme à l’aide du DDT, menée par l’Agence Internationale pour le Développement (AID) dans 48 pays, sont spectaculaires : en Afrique du Sud, le nombre de cas est divisé par 10 entre 1943 et 1946.

En Inde, la malaria touchait annuellement environ 75 millions de personnes et faisait 800 000 victimes ; avec l’usage généralisé du DDT, ce nombre chute à 50 000 en 1961. Au Sri Lanka comme en Grèce ou en Amérique du Sud, le paludisme n’est pas loin d’être éradiqué en 1 à 3 ans…

Alors pourquoi avoir interdit l’usage du DDT, notamment dans les régions encore soumises à la maladie ? La facilité de synthèse et le faible coût du produit quand son brevet tomba dans le domaine public précipitent la catastrophe : on en répand partout à titre préventif, et sans trop se préoccuper des doses utiles, dans les zones habitées, mais aussi sur les champs, les forêts, etc.

Ces excès entraînent des résistances et la propagation de {Plasmodium falciparum reprend dans certaines régions, quoique sans commune mesure avec les épidémies d’avant DDT. La diminution du nombre des oiseaux observée par les ornithologues de la National Aubudon Society et rapportée par le {New York Times en 1957 reste sans écho au niveau des autorités sanitaires. En 1962, la biologiste et auteur populaire Rachel Carson publie « Silent Spring », largement distribué avant même parution par son éditeur aux politiques, aux sociétés savantes, aux associations de toute sorte ; il sera traduit dans des dizaines de langues et deviendra rapidement un best-seller international.

Le retour de balancier est inéluctable : les milieux politiques sont interpellés et les industriels de la chimie mis en accusation… Les attaques se multiplient, non sans raisons mais malheureusement sans analyse de l’origine des abus observés, et du rapport bénéfice/coût en santé humaine. Le DDT devient l’ennemi public numéro 1 et le restera. Alors que son utilisation sélective et rationnelle aurait probablement pu préserver des millions de futures victimes : la quantité de DDT utilisée pour traiter tout le Guyana (215 000 km2) est à peu près celle qui était utilisée, aux Etats-Unis, pour traiter 4 km2 de coton lors d’une seule saison de pousse !

Le DDT, un POP

Les POPs sont les Polluants Organiques Persistants, qui sont dangereux pour l’environnement. La toxicité du DDT est incontestable… si on ne prend en compte que les 3 derniers des 4 critères définissant les POPs depuis la conférence de Rio (1992) :

– Ils sont intrinsèquement toxiques,
– Ils s’accumulent dans la chaîne alimentaire (bioaccumulation du DDT due à sa lipophilie),
– Ils sont persistants dans l’environnement (demi-vie du DDT, environ 15 ans),
– Ils voyagent sur de longues distances depuis leur source.

Mais est-il réellement toxique ? Depuis un demi-siècle, partisans et détracteurs du DDT ont multiplié les travaux, soit sur des modèles animaux, soit et surtout par des études épidémiologiques, notamment sur des personnes exposées durant de très longues périodes. Pour ce qui concerne le cancer, une étude portant sur 692 femmes sur une période de vingt ans n’a pu établir aucune corrélation entre le sérum de DDE (un métabolite du DDT que l’on peut corréler à l’exposition au DDT) et le cancer du sein. Une autre étude portant sur trente-cinq ouvriers exposés à 600 fois l’exposition moyenne de DDT sur des périodes allant de neuf à dix-neuf ans n’a pas observé d’augmentation de risque de cancer.

Dans une autre étude, des humains ont volontairement ingéré 35 mg de DDT par jour sur une période d’environ deux ans puis ont été surveillés sur plusieurs années. Bien qu’il y ait eu des « effets potentiellement nuisibles pour le foie », aucun autre effet néfaste n’a pu être observé. Enfin, le fonctionnement nerveux et hormonal humain (métabolisme oestrogénique, effet anti-androgène) n’est pas démontré comme en a convenu la WWF.

En termes de santé humaine, aucun risque n’a pu être démontré (même les tentatives de suicide au DDT ont été des échecs !), les seuls risques avérés sont de nature environnementale. Le rapport annuel 2010 de l’AFM (Africa Fighting Malaria) présente les derniers éléments pertinents concernant la controverse sur la toxicité du DDT et les alternatives prônées.

Une valse-hésitation mortelle…

L’Agence pour la Protection de l’Environnement américaine (EPA) interdit, en 1972, la fabrication du DDT, son exportation même dans les pays impaludés, et cesse tout financement de la lutte mondiale contre le paludisme menée sous l’égide de l’OMS, si elle inclut l’usage du DDT. Le résultat ne se fait pas attendre : en Inde, 4 épidémies majeures depuis 1994, avec près de 3 millions de cas rapportés ; au Sri Lanka, le nombre de cas passe de 17 en 1964 à environ un demi-million en 1969…

La convention de Stockholm, signée par 158 pays en 2001 et effective depuis mai 2004, vise à interdire le DDT ainsi que 12 autres POPs dont 8 sont des pesticides. Cependant en juin 2005 le président George W. Bush met un terme à la politique restrictive de son pays en lançant la « President Malaria Initiative » et en septembre 2006, l’OMS annonce que le DDT sera utilisé comme l’un des trois principaux outils dans la lutte contre le paludisme et recommande la pulvérisation des pièces d’habitation dans les zones épidémiques, ainsi que dans les endroits à transmission du paludisme constante et élevée, et l’Agence des États-Unis pour le développement international annonce en conséquence qu’elle financera l’utilisation du DDT…

En mai 2009, seulement trois ans après l’avoir réintroduit, l’OMS retire son approbation pour l’utilisation du DDT dans la lutte anti-vectorielle et vise à sa limitation à 30% d’ici 2014 et son interdiction avant 2020… en s’appuyant notamment sur une expérience menée à Mexico et en Amérique du Sud de distribution préventive d’un médicament antipaludéen, la chloroquine, à des sujets sains.

Et la lutte mondiale contre le paludisme continue…

A l’occasion de la dernière journée internationale contre le paludisme (tous les 25 avril), les autorités officielles annoncent la mort, en 2009, de 800 000 personnes, essentiellement des enfants, vivant en Afrique subsaharienne.

Le 12 janvier 2011, un nouveau plan est publié par l’OMS, qui focalise son action sur des pratiques alternatives : développement de vaccin(s), recherche de nouveaux médicaments et de nouvelles cibles, distribution de moustiquaires imprégnées de répulsifs, plan mondial d’endiguement de la résistance à l’artémisinine (GPARC), substance active extraite d’une plante (cardiotoxique, il est prescrit en cocktail de 5 composés, nommé ACT), etc. Il s’agit explicitement de « sauver les médicaments pour les générations futures ».

En effet, l’OMS a approuvé environ une douzaine d’antipaludéens, comme la chloroquine et l’artémisinine, sans une étude approfondie de leurs effets à moyen et long terme sur la santé humaine, alors que le développement rapide de résistances induites chez Plasmodium est avéré. Le DDT n’est pas même évoqué, ce qui évite de se prononcer en s’appuyant sur les faits scientifiques, comme le regrettait déjà en 2006 Arata Kochi, le responsable de la lutte contre la malaria à l’OMS.

De plus, tout cela coûte cher, très cher, et exige une infrastructure que ne possèdent pas les pays les plus pauvres, comme certains pays africains. « A victory for politics over public health, and millions of the world’s poor will suffer as a result » rapporte le Wall Street Journal, rappelant également les propos de Roger Bate de l’Africa Fighting Malaria : « Bed net manufacturers and sellers of less-effective insecticides also don’t benefit when DDT is employed and therefore oppose it, often behind the scenes ». Le malthusianisme affiché publiquement par certains politiques n’est pas sans influence sur ces décisions.

Rachel Carson a eu le mérite de sensibiliser la population des pays développés aux effets délétères d’une utilisation intempestive et incontrôlée de produits chimiques actifs. Personne ne conteste l’interdiction du DDT en tant que pesticide d’épandage dans les pays riches : les dégâts observés sont bien réels, comme par exemple sa responsabilité dans la mortalité de poissons ou dans la disparition de colonies d’espèces rares, aigles à tête blanche et faucons pèlerins, peut-être en provoquant un amincissement de la coquille de leurs œufs.

Toutefois, éradiquer la maladie dans les pays pauvres, outre la préservation de millions de vies humaines, soulagerait d’un énorme poids leurs économies. Selon la Malaria Foundation International « la perte commerciale subie chaque année par l’Afrique du fait du paludisme est de l’ordre de 12,8 milliards de dollars et on estime qu’un simple accès de malaria a un coût équivalent à 10-20 jours ouvrables en Inde et en Afrique ». Une réduction de la malaria de 10% serait associée à 0,3% de croissance du PIB. Selon l’OMS, la malaria continue de tuer un enfant africain toutes les 30 secondes… d’où la

Pensée du jour
«POP, POP, POP, sauver la biodiversité ou sauver les pays pauvres, faut-il vraiment choisir ?»

Sources
http://fr.wikipedia.org/wiki/DDT
http://en.wikipedia.org/wiki/DDT
http://fr.wikipedia.org/wiki/Malaria
– Amir Attaran et coll., Balancing risks on the backs of the poor, {Nature Medecine. 6, 729–731 (2000)
– World Wildlife Fund, Resolving the DDT Dilemna : Protecting Biodiversty and Human Health (Toronto and Washington DC, 1998)
htwww.malaria.org/tren.htlm
www.malaria.org/DDTpage.htlm
– La Chimie et la Santé, EDP Sciences et L’Actualité chimique-Livres, 2010, p125-138
www.agriculture-environnement.fr/spip.php?article653
http://online.wsj.com/article/SB124303288779048569.html
www.who.int/Global_plan_for_artemisin_resistance_containment
http://afm_annual_report_2010.pdf