Depuis la nuit des temps, les sangliers des Vosges du Nord et de la vallée rhénane savaient se vautrer dans les affleurements huileux du nord de l’Alsace pour se débarrasser de la vermine. Bientôt les hommes voyant ces corps gras flotter à la surface de la source dit « Baechel-Brunn » écopent ces huiles et s’en servent pour lubrifier les moyeux des roues des chariots et pour guérir un peu tout, des maux de dents à l’eczéma et aux plaies purulentes.

La première trace écrite de ces nappes pétrolifères sont signalées par un historien, professeur à Strasbourg, Jacob Wimpheling. C’est en 1627 que les comtes de Hanau-Lichtenberg, seigneurs de l’endroit, accordent la première concession à un certain Michel Wecker. Le 10 octobre 1734, J. T. Hoeffel, originaire de Woerth dans le Palatinat, soutient sa thèse de médecine à la faculté de Strasbourg. L’huile et ses dérivés lui apparaissent comme un remède quasi universel.

Il découvre aussi plusieurs affleurements de sable huileux et par chauffage il obtient du pétrole lampant. Sa thèse publiée, le gisement de sable bitumineux alsacien et le lieu dit Pechelbronn (en allemand, soit Fontaine de la poix) deviennent connus en Europe.

Un diplomate, interprète auprès de l’ambassadeur de France en Suisse, Louis P. Ancillon de la Sablonnière, qui connaissait déjà l’existence d’une mine de bitume en Suisse, obtient du comte de Hanau et du Landgrave de Darmstadt la concession de la source en 1740, confirmée par le roi de France en 1745 et fonde par actions la doyenne des sociétés pétrolières. En 1768, c’est la famille Le Bel qui obtient la concession pour exploiter et vendre du bitume pour une durée de 30 ans, privilège renouvelé pour 50 ans en 1800. C’est le début d’une exploitation rationnelle par creusement de puits profonds de 10 à 30 m. L’huile de suintement des sables est alors pompée, stockée et commercialisée.

C’est Joseph-Achille Le Bel (cf. Joseph-Achille Le Bel) qui reprend la direction des opérations en 1874 et perfectionne le creusement des puits et commence à distiller les huiles pour diversifier les produits. Avec l’ingénieur Fauvel, il effectue les sondages par trépan et tiges de sondages permettant avec de l’eau sous pression de remonter les résidus des roches concassées sous forme de boues et atteindre des profondeurs supérieures à 150, voire 200 m. L’huile, sous la pression du gaz, remonte et jaillit parfois à 15-20 m de hauteur. On régularise ensuite le débit en plaçant un robinet.

On voit alors s’édifier à Pechelbronn les chevalements en forme de pyramides recouvertes de planches sur leurs quatre faces adossées à des maisonnettes en planches, abri pour les ouvriers avec le levier faisant tourner le trépan : des constructions popularisées par les vues des champs pétrolifères américains.

La production augmente et la famille Le Bel vend l’entreprise à la société « Pechelbronn Oelbergwerke AG » en gardant cependant un bon nombre d’actions. Le gaz est partiellement recueilli et stocké dans des gazomètres qui alimentent l’éclairage des ateliers et laboratoires. Des alambics en tôle entourés de manchons de briques chauffés à la vapeur issus de chaudières brûlant du charbon ou les résidus de coke, distillent le pétrole et fournissent différents produits. Une analyse de 1890 donne les produits suivants :

|Produit|Densité|
|Gazoline|0,670|
|Benzine|0,700|
|Naphte|0,715|
|Ligroïne|0,725|
|Pétrole |0,800 – 0,810|
|Huile à Gaz|0,850|
|Huile |0,870|
|Résidus vert et noir |Coke gras|

Cette exploitation par sondages, sans avoir l’importance de celles de la mer Caspienne ou de l’Amérique du Nord, est alors la plus considérable d’Allemagne (l’Alsace et la Lorraine mosellane sont alors allemandes). Les perfectionnements des méthodes (injection Holcraft et systèmes Raky) conduit fin 1905 à plus de 100 sondages et une production en 15 ans de plus de 22 000 t.

Les tours de forages mécaniques que fait venir la nouvelle société Deutsche Tiefbohr AG améliorent encore la production durant la guerre 14-18.

Cette société est mise sous séquestre par l’Etat Français en 1918 et devient la Société Anonyme d’Exploitation Minière (SAEM). En 1919 l’Institut Français du Pétrole (IFP devenue IFPEN en 2010) voit le jour à Pechelbronn dans le château Le Bel. Il sera transféré à l’université de Strasbourg, rue Boussingault en 1923 puis à Paris en 1939. En 1920, la production dépasse 75 000 t/an et en 1936, les raffineries de Pechelbronn fournissent à la France 6 % de l’essence, 16 % du gazole, 35% des huiles moteur et 23% des bitumes et brais.

C’est la société ANTAR, créée pour distribuer les lubrifiants alsaciens, qui lance en 1934 l’huile révolutionnaire qui comportait des particules de graphite. La guerre de 1940 et l’occupation nazie de l’Alsace n’arrêtent pas la production, importante pour l’effort de guerre allemand, mais elle s’arrêtera le 3 août 1944 sous le déluge de 2 000 bombes déversées par 106 forteresses volantes qui détruisent à 90% les installations des raffineries.
Les ruines de Merkwiller se relèvent dès fin 1945, mais les productions resteront marginales devant les implantations près du Havre et de l’étang de Berre jusqu’à l’arrêt complet en 1955.

Les prospections et sondages dans la région ont apporté de nombreux enseignements précieux sur le sous-sol et les formations géologiques des Vosges du Nord. Ils ont en particulier détecté les anomalies des gradients de température, notamment dans la région proche de Soultz-sous-Forêt où des développements de générateurs géothermiques d’électricité sont en cours.

Pensée du jour
« L’Alsace n’est pas le Texas et Le Bel n’était pas Rockefeller. »

Source
www.musee-du-petrole.com/index2.htm

Pour en savoir plus
Joseph-Achille Le Bel